Titre original : The Prisoner
Réalisation : Patrick Mc Goohan & George Markstein
Origine : Royaume-Uni (1967)
IMDb "La
fonction de n'importe quel Art est d'être en avance sur son temps, de
proclamer tout haut les risques de ce qui n'est pas encore perceptible
mais qui est cependant déjà présent." (Patrick Mc GOOHAN)
A
l'heure où des caméras de vidéo surveillance nous épient en permanence
dans le métro, les supermarchés et les jardins publiques, où chaque
être humain est catalogué dans d'immenses fichiers informatiques, où
les pouvoirs politiques sont discrédités de part leurs méthodes
douteuses, où un simple téléphone portable peut nous faire repérer
n'importe où sur la planète par un satellite, où la science vise à nous
modifier génétiquement, où les médias pratiquent le lavage de cerveau à
coups de spots publicitaires, de jeux télévisés bêtifiants et de faux
reportages d'investigation… que nous reste-t-il sinon le pouvoir de
nous poser des questions? Pas grand-chose en fait… si ce n’est les
visions de
Patrick McGoohan.
La série"Vision prémonitoire", "énigme allégorique" sont des termes qui reviennent souvent quand on évoque
Le Prisonnier.
Si cette série a su si bien voyager dans le temps depuis 1967 pour
arriver dans le troisième millénaire intacte, c'est surtout grâce au
génie de son créateur
Patrick McGoohan, en collaboration avec
George Markstein(qui tient le rôle du fonctionnaire impassible à qui McGoohan donne sa
démission dans le pré-générique) jusqu'au quatorzième épisode. C'est
Markstein qui eut l'idée de base du
Prisonnier (soi-disant dans le train entre Waterloo et Shepperton), le lendemain il l'a suggéra à
McGoohan qui fut très enthousiaste. Ils se séparèrent après l'épisode
Musique Douce,
Markstein étant totalement effacé sous l'immense influence de
McGoohan. Réalisateur, producteur exécutif, scénariste, acteur… on raconte même que
Patrick McGoohanaurait composé les premières notes du thème du générique au piano. Tel
Atlas, il a littéralement soutenu de ses épaules son œuvre du début à
la fin en donnant son avis et en participant à la création de TOUT. Le
Prisonnier est "sa chose". Du génie à tous les niveaux: dialogues, décors (
Jack Shampan), costumes, photographie (
Brendan J.Stafford)…
tout y a été scrupuleusement créé pour que se dégage de l'œuvre une
esthétique parfaite. Plus de 30 ans après, de part la beauté onirique
unique du Village véritable miroir déformant de notre société et de
part son discours socio-philosophique dérangeant et prémonitoire sur le
monde d'aujourd'hui,
Le Prisonnier peut être considéré à juste titre comme un véritable "chef-d'œuvre (télé)visionnaire" (1).
Si du point de vue esthétique
Le Prisonnierdemeure aujourd'hui inégalé, c'est sans aucun doute grâce à son
identité avant-gardiste: costumes époque "années folles", décors à
mi-chemin entre
Alice au Pays des Merveilles et
Star Trek, idées scénaristiques surréalistes et délirantes et une musique très diversifiée, infiniment riche, de type easy-listening.
"J'ai
toujours été obsédé par l'idée de la prison dans une Société
Démocratique Libérale. Je crois en la Démocratie, mais le danger
inhérent est, qu'avec excès de libertés dans tous les domaines, nous
finirons par nous détruire." (Patrick Mc GOOHAN)
Le Prisonniern'apporte pas de réponses mais pose des questions. A la fin du dernier
épisode nous ne sommes guère plus avancés qu'au début du premier.
Pourtant les idées traitées, qu'elles soient politiques, sociales,
philosophiques (perte de l'individualité), ont fait leur chemin dans
nos esprits.
Le Prisonnier nous pousse à nous poser
des questions. Son message est clair : ne vous laissez pas enfermer,
pensez par vous-même. Nous ne sommes plus un téléspectateur gavé et
passif mais un être pensant à part entière, libre de nos avis et de nos
choix. De cette façon, nous comblons le vide laissé par l'intrigue,
nous recréons ce que
Patrick McGoohan ne nous dit pas. En effet,
Le Prisonnier est la seule série bâtie sur un manque puisque le dénouement ne nous apporte pas de réponses (à mon humble avis
Twin Peaks viendra plus tard compléter cette courte liste, mais dans une moindre mesure puisque
David Lynchnous fournira ses propres réponses). Tout d'abord, les réflexions que
nous insufflent les images et les dialogues nous dérangent.
Inévitablement, dans un deuxième temps, nous nous remettons en cause et
finalement nous comprenons que la réponse à chacune des questions
posées de la série est "MOI", moi en tant qu'être pensant et libre. Si
tout cela arrive, c'est de "MA" faute. Nous sommes notre propre perte.
Nous sommes prisonniers de nous-mêmes.
Je laisse chacun libre de sa propre analyse, libre de se poser ses propres questions et libre d'y apporter ses propres réponses.
La musiquePlusieurs compositeurs se sont mis à la tache pour nous offrir cette bande originale vraiment très originale. Tout d'abord
Ron Grainer,
auteur de l'incontournable thème du générique: deux coups de tonnerre,
les réacteurs d'un avion et subitement un air tonitruant pour cuivres
et percussions. Le compositeur nous en offre une version alternative
dans le deuxième volume de la BO. Il s’agit d’un thème beaucoup plus
lent joué au clavecin et intitulé
“The age of Elegance”. En France, on connaît surtout
Ron Grainer pour la musique du film
Le Survivant (
The Omega Man de
Boris Sagal - 1971 - tiré d'un roman de
Richard Matheson avec
Charton Heston) et à la télévision pour
L'Homme à la Valise (
A Man in a Suitcase, avec
Richard Bradford),
Bizarre Bizarre (
Tales of the Unexpected, sur des scénari de
Roald Dahl, auteur des contes récemment mis en images
James et la Pêche Géante et
Mathilda) ; en Grande-Bretagne, il a écrit les musiques du mythique
Dr Who et du non moins célèbre (?!)
Maigret (version anglaise avec
Rupert Davies).
Dans le premier des trois volumes de la BO, associés à
Ron Grainer, on retrouve les noms de
Albert Elms et
Wilfried Josephs.
Albert Elmsa composé les thèmes les plus intéressants, typiques de la série et de
l'époque. Il s'agit tout d'abord de morceaux de jazz symphonique (style
The Avengers ou
Mission Impossible) que l'on peut entendre dans les épisodes clefs comme
L'Arrivée ou
Liberté Pour Tous et réutilisés plus tard dans, par exemple,
Double Personnalité qui ne contient que des reprises.
Elms nous offre également des morceaux plus romantiques comme le fameux
"N°6 and B Dance at Engadines Party" (épisode
A,B&C) ou des plages d'action et de suspens que l'on peut entendre dans les multiples tentatives d'évasion du N°6.
A cette liste s'ajoute des thèmes dignes des comédies de
Henry Mancini comme
"Chase with Sports and Helicopter" (épisode
La Mort en Marche), dans le style de
La Panthère Rose. L'originalité réside dans le fait que
Elmsutilise ces morceaux de comédie en totale décalage avec les images: le
N°6 luttant contre ses geôliers dans un décor à la Disneyland sur fond
de musique à la Inspecteur Clouseau. Tout l'esprit ironique du
Prisonnier se retrouve ici.
Outre les compositions de
Elms, le premier CD contient également les principales musiques arrangées, notamment les adaptations classiques de
Vivaldi,
Bizet et
Strauss.
Les
musiques d'atmosphère et d'accompagnement entendues dans l'appartement
du N°6 ou dans la rue sont regroupées dans les volumes 2 et 3. Il
s'agit là des "inoubliables" concerts de la fanfare du Village (le Big
Band), de musiques douces et joyeuses, de thèmes décalés et ironiques
réemployant des berceuses et de comptines. De nombreux morceaux ont été
empruntés à la
Chappel's Music Library.
Eric Mival,
Robert Dearbery et
John S. Smith,
responsables du choix des musiques, ont pioché dans ces catalogues et
nous ont fait découvrir des véritables petits bijoux, des mélodies
inconnues de tous mais non moins magnifiques. Ainsi nous pouvons
écouter
Jean-Claude Petit (et oui !) à travers des morceaux d'illustrations sonores. Ecrites au début de sa carrière en collaboration avec
Jack Arrel (compositeur, entre autres choses, du
Temps des As,
30 Millions d'Amis,
Les Tifins et
Auto-Moto (version 1975)), ces illustrations ont été revendues à divers supports dont le cinéma (
Psychedelic Portrait,
Rag March,
Southern Hemisphere respectivement réintitulés
"In the Magnum Record Shop",
"N°6's speech" et
"Breakfast with N°2" dans les épisodes
La Mort en Marche,
Le Dénouement et
Liberté Pour Tous).
Quelques noms reviennent également souvent comme
Robert Farnon (compositeur de l'entraînante et éclatante musique de la série
Colditz avec
David McCallum et du score de
Shalako avec
Brigitte Bardot), ou encore
Paul Bonneau (compositeur du thème de la série
Les Globes Trotters) avec notamment
The Cats Dance rebaptisé
"Insomnia for N°6" dans l'épisode
Danse de Mort.
C'est un morceau délirant et guilleret imitant, comme son nom
l'indique, des chats en train de danser ! Une ambiance très "Catwoman".
Moins décalé, totalement inconnu mais absolument sublime,
Ocean de
T. Veneux utilisé pour le thème
"N°6 Adrift on Raft at Sea" (épisode
A,B&C). Cette plage, douce et lyrique, évoque les scores d'
Elmer Bernstein utilisant les ondes Marthenot.
Pour finir, notons que quelques adaptations musicales ne figurent pas dans les CD, comme celles de
Carmen Miranda,
The Four Lads ou encore les chansons utilisés dans l'ultime épisode
Le Dénouement, à savoir
"Dry Bones" et
"All You Need is Love" des
Beatles. All you need is love… à méditer.